Le royaume de France descend directement du royaume franc occidental cédé à Charles le Chauve en 843. Ce n’est qu’en 987 que la lignée dynastique carolingienne a été mise de côté, mais il y avait eu des interruptions présageuses. L’empire réunifié de Charles le Gros (règne de 884 à 888) s’avéra irréalisable: l’assaut viking était alors à son pire, et le roi s’avéra incapable de gérer les défenses, ce qui tomba naturellement aux mains des magnats régionaux., Parmi ceux-ci se trouvait Eudes, fils de ce Robert le Fort à qui les comtés de la basse vallée de la Loire avaient été délégués en 866. La défense ingénieuse de Paris par Eudes contre les Vikings en 885 contrastait nettement avec les échecs de Charles le Gros, et en 887, les magnats francs occidentaux déposèrent Charles et élurent plus tard Eudes roi. Ce faisant, ils contournèrent un petit-fils mineur de Charles le Chauve, également nommé Charles, qui fut couronné à Reims en 893 avec le soutien de l’archevêque., Bien que gagnant le titre incontesté à la couronne à la mort d’Eudes en 898 et imposant une défaite écrasante à Rollo et forçant sa conversion au christianisme avant d’accorder la Normandie au chef viking, Charles le Simple n’a pas pu récupérer la loyauté indivise de la noblesse. Il chercha ensuite à récompenser le service des hommes de moindre importance, mais perdit la couronne en 922 au profit du frère d’Eudes, Robert I, qui fut tué dans la bataille contre Charles en 923. Le beau-fils de Robert, Rodolphe (Raoul de Bourgogne), est alors élu roi, et Charles le Simple est emprisonné, pour mourir en captivité en 929., Pourtant, à la mort de Rodolphe en 936, le candidat robertien à la couronne, le fils de Robert, Hugues le Grand, se tenait à l’écart pour une autre restauration carolingienne en la personne de Louis IV, fils de Charles le Simple et appelé Louis d’Outremer (« Louis d’Outre-Mer”) parce qu’il avait été nourri en Angleterre depuis la déposition de son père. Louis IV agit énergiquement pour raviver le prestige de sa dynastie, laissant la couronne incontestée à sa mort en 954 à son fils Lothar (954-986). Mais les ressources dynastiques de Lothar étaient trop sérieusement compromises pour commander la pleine allégeance des magnats., Lorsque son fils Louis V (986-987) mourut jeune, les magnats se réassurèrent pour élire Hugues Capet roi. Cette fois, malgré la survie d’un prétendant carolingien, Charles de Lorraine, la rupture dynastique est permanente.

L’élection de 987 coïncide avec une crise plus générale du pouvoir., Le pillage des Vikings a cédé la place à celui des castellans et des chevaliers; l’incapacité des rois (quelle que soit leur famille) à obtenir des professions de fidélité et de service de la masse des gens dans des terres s’étendant au-delà de quelques comtés montre comment les notions de loyauté personnelle et de seigneurie remplaçaient celles d’ordre public. Tout comme les castellans se libéraient de la subordination aux comtes, les moines réclamaient l’exemption de la surveillance des évêques: dans un cas célèbre, l’évêque d’Orléans s’opposait au savant abbé de Fleury (mort en 1004)., Il y avait une nouvelle insistance sur la vertu de la fidélité—et sur le péché de trahison.

Hugues Capet (règne 987-996) et son fils Robert II (le Pieux; 996-1031) luttèrent en vain pour maintenir la solidarité carolingienne des comtes, évêques et abbés associés; après environ 1025, Robert et ses successeurs n’étaient guère plus que des seigneurs couronnés, et leur protectorat n’était apprécié que par les petits barons et les églises de l’Île-de-France., Ni Henri Ier (1031-60) ni Philippe Ier (1060-1108) ne pouvaient égaler le succès (tel qu’il était) de leurs rivaux en Normandie et en Flandre en subordonnant les châteaux et les vassaux à leurs fins.

Pourtant, même ces rois relativement faibles se sont accrochés à leurs prétentions. Ils revendiquaient des droits dans les églises et les monastères épiscopaux loin en dehors de leur domaine immédiat, qui se concentrait autour de Paris, Orléans, Compiègne, Soissons et Beauvais., Henri Ier épousa une princesse russe, dont le fils reçut le nom exotique de Philippe; et le choix de Louis, un nom carolingien, pour le fils de Philippe était encore plus évidemment programmatique. Louis VI (1108-1137) passe son règne à réduire à la soumission les barons brigands de l’Île-de-France, rétablissant ainsi le respect de la justice du roi; il œuvre prudemment à promouvoir la suzeraineté royale sur les domaines princiers. Ce fut un signe de prestige nouvellement atteint qu’il a obtenu l’héritière Éléonore d’Aquitaine comme une épouse pour son fils Louis VII (1137-80)., Mais Louis VI a eu moins de succès dans les guerres frontalières avec Henri Ier de Normandie; ces conflits sont devenus plus dangereux lorsque, après l’échec de son premier mariage, Eleanor a épousé Henri II d’Anjou, qui est venu ainsi contrôler des terres dans l’ouest de la France de beaucoup plus grande étendue que les domaines capétiens. Louis VII se révéla néanmoins un défenseur constant de son royaume. Il ne renonça jamais à sa prétention à la seigneurie sur les terres angevines, et il laissa aux hommes de son entourage la liberté de développer un contrôle plus efficace de son domaine patrimonial., Surtout, il a engendré—tardivement, par la reine Adèle de Champagne, sa troisième épouse, au milieu de transports de joie soulagée-le fils qui devait poursuivre l’œuvre de la dynastie.

Les premiers rois capétiens ont ainsi atteint la puissance d’une grande principauté, comme la Normandie ou Barcelone, tout en abritant le potentiel de rétablir une autorité pleinement royale sur le grand royaume autrefois gouverné par Charles le Chauve. Les princes étaient leurs alliés ou leurs rivaux; ils faisaient parfois hommage et juraient fidélité au roi, mais ils étaient réticents à admettre que leurs patrimoines durement gagnés étaient des fiefs tenus de la couronne., La seigneurie royale sur les paysans, les citadins et les terres de l’église a été pendant de nombreuses générations une composante plus importante du pouvoir du roi en France. Il a été exercé personnellement, pas bureaucratiquement. L’entourage du roi, comme ceux des princes, reproduisait l’ancienne structure franque du service domestique. Le sénéchal a vu à la gestion générale et l’approvisionnement, une fonction (comme celle des maires du palais) avec le potentiel d’expansion. Le majordome, le connétable et le chambellan étaient également des laïcs, le chancelier étant normalement un clerc., Les officiers laïcs n’étaient pas des agents au sens moderne du terme; leurs fonctions (et leurs revenus) étaient dotées de récompenses ou de fiefs, dont ils comptaient rarement et qu’ils avaient tendance à revendiquer comme par droit héréditaire. Dans un cas notoire, Stephen de Garland a essayé de réclamer la sénéchaussée comme sa propriété et a même occupé pendant un certain temps trois postes à la fois; mais cet abus a rapidement été remédié et a enseigné la prudence à Louis VI et à ses successeurs. Le chancelier rédigea les décrets et privilèges du roi avec un soin et une régularité croissants., Lui ou le chambellan tenait des listes de locataires fiscaux et de leurs obligations sur les domaines du lord-roi et dans les villes pour vérifier le service des prévôts qui percevaient les rentes et les bénéfices de la justice. Mais ce service n’était guère moins exploité que celui des officiers de maison; le domaine royal était en retard sur les princiers de Flandre et de Normandie dans l’imposition de la responsabilité à ses serviteurs. L’abbé Suger de Saint-Denis (mort en 1151), autrefois prévôt sur les domaines de son monastère, contribua à faire avancer les conceptions administratives du pouvoir à la cour de Louis VII.,

T. N. Bisson